PATRICK RUFFINO – en concert au Satelitt Café (Paris)

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Au début des années 70, Cotonou était certainement l’une des capitales les plus funky d’Afrique. G.G Vickey, Gnonnas Pedro ou le Tout Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou passaient en boucle sur les radios, investis par la puissance du funk et la force vodoun. Au fil de morceaux hypnotiques, ils dispensaient en musique des leçons de vie à leurs concitoyens. La fraîcheur de leur son défrayait la chronique : mélange inédit de soul, funk, salsa, afro-beat et de rythmes béninois traditionnels prenait par surprise toute l’Afrique de l’ouest. Le « quartier latin » de l’Afrique savait aussi groover.

Patrick Ruffino voit le jour à cette période, dans une famille d’intellectuels, qui justement aime le bon son. A la maison, la musique donne le ton de la journée : selon l’humeur, son père, médecin, saxophoniste à ses heures, réveille la maisonnée à grands coups de 33 tours : Louis Armstrong, La Orquesta Aragon de Cuba, chants traditionnels Egungun ou Miriam Makeba. Avec ses cinq frères et sœurs, Patrick Ruffino chante et joue de la guitare à l’école, à l’église, à la maison. Comme tous les jeunes garçons du Bénin, il passe par les « kaleta », l’apprentissage musical traditionnel. A dix ans, il devient un homme : initié aux rituels vaudou, il apprend à dialoguer avec Shango, la divinité de la foudre, à manier les rituels secrets du culte Oro et les chants et danses des cérémonies Ogungun, qui figurent le retour des ancêtres parmi les vivants. Le dimanche, il continue à chanter des cantiques à la messe, selon le syncrétisme national : le Bénin est 70 % chrétien, 30% musulman, 150 % animiste ! Après l’école, Anna, sa grand-mère, originaire du Ghana rassemble tous ses petits-enfants sur la terrasse et ramène cérémonieusement son tourne-disque. Pendant des années, à la même heure, elle leur donne une magistrale éducation musicale. Les petits Ruffino écoutent attentivement les cuivres sautillants des orchestres de highlife d’E.T Mensah, The Ramblers ou Ignace de Souza, un trompettiste béninois émigré au Ghana. La grand-mère adorée traduit les paroles, matière brute idéale pour enseigner la vie. Armé de toute cette connaissance musicale, Patrick Ruffino travaille la guitare, avec son voisin et ami Lionel Loueke, se met à la basse, essaie le piano et affine sa voix. A douze ans, il accompagne G.G Vickey, croise le Poly-Rythmo, reçoit les félicitations et les encouragements des légendes de la musique au Bénin. Adoubé par les anciens, il en prend de la graine. Toute sa recherche tourne autour du « sato » un rythme funèbre endiablé, joué sur de très hauts tambours, sur lesquels les initiés tapent fort : si la peau du tambour se perce, le rituel s’arrête. Personne n’a jamais vu le fond du tambour… Dans le sato, on entend tout selon Patrick : du funk, de la bossa nova, de la soul… Au Bénin, il monte le groupe « Fâ », qui marche bien en Afrique de l’ouest, déjà devenue trop étroite pour le jeune musicien.

En 1997, il arrive à Paris et reprend tout de zéro. Il s’installe à New York dans les années 2000 et découvre le milieu du jazz. Il le métisse à ses multiples influences et prend conscience de la richesse de son patrimoine culturel, en maintenant les allers-retours au Bénin. De retour à Paris, il travaille sur un premier album très remarqué Ewa Ka Jo, finaliste du Prix Découvertes RFI en 2006. Ce premier disque fera dire à Manu Dibango,- le tonton de tous les jeunes musiciens d’Afrique : « Patrick Ruffino, on dirait un Vieux qui enregistre avec une voix de jeune homme». Compliment suprême dans un continent où l’âge apporte expérience, privilèges et autorité. Très bon bassiste, arrangeur reconnu, personnalité à part, Patrick Ruffino revendique volontiers cet héritage tantôt traditionnel, tantôt funky, en tous cas multiple. Adolescent, il a toujours énormément écouté les paroles, conseils, avis des chanteurs, notamment Eskill du Poly-Rythmo ou de l’homme-orchestre Sagbohan Danialou, deux inoubliables voix du Bénin. Il chante aussi Bob Marley, l’explosif Féla Kuti du Nigéria voisin… Aujourd’hui, il reprend toujours chez lui, les morceaux phares de cette décennie 70, comme un éternel enseignement vocal.

Depuis trois ans, il travaille seul sur son second album, Salaam : un disque aussi riche que son parcours. On y entend la force sombre du sato et du tchinkoumé, un rythme du centre du Bénin. L’énergie de la funk, la gaîté du highlife, la profondeur des musiques sahéliennes – sa mère est burkinabé, ou de la juju music – son grand-père paternel est yoruba. Des chansons « à textes », en mina, yoruba, fon, des langues parlées du Ghana au Nigéria, qui racontent des choses vues et vécues au quartier, des histoires d’amour, d’amitié… Tout cela de connu et pourtant rien de déjà entendu. Patrick Ruffino invente une musique inédite et dans l’air du temps. Evidente et révolutionnaire. Comme l’a fait Angélique Kidjo dans les années 90, il recycle les « fondamentaux » de la musique béninoise et leur donne une résonance neuve. Patrick Ruffino est l’héritier discret des légendes musicales du Bénin. « C’est au bout de l’ancienne corde que l’on tisse la nouvelle » dit d’ailleurs sa devise.

Eglantine Chabasseur

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