LES LECTURES DE GANGOUEUS – Invité : DATE ATAVITO BARNABE-AKAYI pour « Errance chenille de mon cœur »

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DATE ATAVITO BARNABE-AKAYI  

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  Critique   DATE ATAVITO BARNABE-AKAYI

Au Pavillon des Lettres d’Afrique à Livre Paris, Daté Atavito Barnabé-Akayi m’a offert trois de ses livres : Les confessions du PR, Le chroniqueur du PR et Errance chenille de mon coeur. Dans le cadre de cette chronique, je vais tenter d’analyser un livre très troublant. J’aimerais expliquer pourquoi, je parle de trouble, car c’est avant tout lié au contexte dans lequel j’ai lu ce livre.
Contextes de lecture
Dimanche dernier, je discutais avec une amie. Elle me faisait état d’une partie de son parcours et de la difficulté que représente pour de nombreuses jeunes filles, adolescentes de passer le secondaire sans être accidentée en Afrique subsaharienne. Les agressions pour les jeunes filles pubères commencent depuis le cadre familial, puis ensuite elles doivent pour beaucoup faire face à la prédation des enseignants. A ce propos, Patty, une écrivaine camerounaise que j’ai rencontrée à Genève, lors de la remise du Prix Les Afriques 2018, a organisé un Facebook live sur la question de l’accompagnement des collégiennes et lycéennes mères dans le système éducatif camerounais et posait de manière très claire la question de la responsabilité des hommes, qu’ils soient élèves ou enseignants. Entravant. Comment gérer la pression du corps qui bascule, des hommes qui le désirent ? Dans le fond, un homme ne cernera jamais assez ce que représente la mutation de la petite fille vers la jeune femme qui doit faire face à la convoitise vorace des prédateurs de chair fraîche.
Paroles d’une adolescente
Daté Atavito Barnabé-Akayi dans ce roman prend la voix d’une jeune femme. Et il est enseignant. Professeur de français. Et son regard s’inscrit principalement dans celui de Saniath. Ce prénom apparait à mi-parcours du roman. Elle s’exprime. Sur son enfance, son adolescence. Au départ, on voit une pré-ado un peu querelleuse qui mène la vie dure à ses frères et soeurs. Ce contexte familial est important. Si le père n’est pas un personnage marquant, la mère exerce un contrôle absolu dont veut se défaire notre narratrice. Elle fréquente une église pentecôtiste et tout prétendant doit venir de ce milieu. Très vite, c’est à sa vie amoureuse que l’on a droit en chapitres successifs. Ses chagrins d’amour, ses copains aux profils différents. Comment le savons-nous ? Elle l’écrit.

«  Ca y est, ça recommence. Je dois écrire et encore écrire. Si cela avait de sens pour moi, ce serait parce que j’avais une sorte d’attachement à celui pour qui j’écris. Et écrire était pour moi, une façon de lui dire, en quelque sorte, ce que je me trouve incapable de lui dire en face. Et j’avais un plaisir à écrire puisque je savais que cela lui plait aussi […]
    Mais aujourd’hui, si j’écris, ce n’est pas parce que je l’aime toujours… Enfin, je le déteste pas, hein ? Il est juste un ami, un prof ». 

Errance chenille de mon cœur. P.18 Daté Atavito Barnabé-Akayi
Cette narration est complexe. Car elle n’est pas linéaire. Elle suit les errements d’un discours transcrit dans un journal intime de la jeune femme. Elle n’est pas volage. Elle n’est pas fidèle. Elle ne veut pas s’ennuyer. Et j’imagine que beaucoup d’adolescentes s’identifieraient dans ses mots, dans la parole de Saniath. De manière assez étonnante le texte  est écrit au présent. Alors qu’on voit très bien que les épisodes décrits par Saniath évoluent entre l’université et la sixième, vice versa, la narration ne varie. La langue est approximative. C’est celle de celle qui parle. On le voit très bien quand Daté s’immisce sans masque dans le texte, éjecte son personnage narrateur pour dire au monde ses observations sur le rapport à la littérature, en particulier sur la question de la poésie, le genre qu’il préfère. Le niveau de la langue s’élève étrangement. Les débats nés des réseaux sociaux exigent une langue plus affutée pour titiller Florent Couao-Zotti, pour brosser un panorama des lettres béninoises.

«  Je cherche à interroger mes lecteurs, à m’instruire par eux et non à les caresser, à les bercer, à les maintenir dans l’apparence, dans l’illusion» 

P. 180, Errance chenille de mon cœur.

«  Le roman c’est un truc pour ceux qui, la plupart du temps, ne peuvent pas s’élever. Tu vois, c’est le genre littéraire écrit le plus connu, le plus populaire, le plus consulté. C’est le genre dédié aux tarés qui ne peuvent pas déguster les poèmes » .

Errance chenille de mon cœur. P. 180. Daté Atavito Barnabé-Akayi
Digression
J’ai rarement vu un auteur africain proposé par une intertextualité aussi centrée sur des auteurs de son pays. On aime citer le monde, les grandes plumes américaines, françaises, latino-américaines ou japonaises. Ce qui est très intéressant dans cette démarche d’atalaku de Daté Atavito Barnabé-Akayi c’est qu’il donne de réelles raisons d’aborder un auteur comme Habib Dakplogan qu’il présente dans sa globalité, l’écrivain, le crooner. Ce n’est qu’un exemple. Il convoque donc quelques textes importants mais il parle surtout d’une élite souvent jeune dont on connait certains acteurs très actifs dans les réseaux sociaux ou  dans certains projets liés aux civic tech comme Maurice Thanthan. Ce regard très local de Barnabé-Akayi a du sens pour un auteur qui à Paris me disait avoir pour cible première le public béninois comme Nganang défend l’idée d’écrire avant tout pour les camerounais.
Le prof et l’élève – Mentor et jeune écrivaine.
C’est un texte d’initiation. Et comme je le disais assez complexe, sensible. Ce personnage subit tout ce que j’ai décrit en début d’article. Sa fascination pour son professeur va prendre le pas sur les amourettes du collège et du lycée. Le propos est juste.
«  Quel sera votre avis sur chaque chose que je fais ? Je pense que j’ai appris beaucoup de choses avec vous et j’ai encore beaucoup à apprendre. Je voudrais être libre d’esprit et avoir un esprit critique aussi élevé que le vôtre. Je suis  peut-être en retard mais je pense me rattraper […] Je crois sincèrement que je vous aime, non pardon, j’aime votre coeur.
Je veux vous appartenir, éternellement. »

Daté Atavito Barnabé-Akayi est très critique du corps des enseignants. Et des dérives de celui-ci. C’est en cela que ce texte est très riche, comme toute bonne oeuvre littéraire aboutie, il gratte, il démange, il gêne, il surprend. Faire vivre de l’intérieur les bourgeonnements de la vie de femme de Saniath était risqué. Il s’en sort bien, je pense.

(Source : gangoueus.blogspot.com)


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